Le grand et le petit hôtel
de Verrue
L’intrépide comtesse de Verrue
Jeanne-Baptiste d’Albert de Luynes (1670-1736) est la fille du Duc de Luynes et d’Anne de Rohan. A l’âge de 13 ans, elle est mariée au comte de Verua, colonel des dragons et diplomate piémontais. Francisé, son nom devient Verrue. A la cour du prince-duc de Piémont, Victor-Amédée II, la comtesse de Verrue fait la conquête du duc qui en tombe amoureux. Pendant 10 ans, elle est sa maîtresse officielle et mène une vie brillante. Deux enfants, Victor-François et Victoire-Françoise, naîtront de cette liaison et seront légitimés par le duc de Savoie. Puis, lassée de son amant, elle s’enfuit de Turin en 1700 déguisée en homme. Elle se réfugie à Paris au couvent des Bénédictines du Cherche-Midi dirigé par sa tante.
Une femme piquée d’Art et de Littérature
En 1701, Mme de Verrue emménage dans l’hôtel d’Hauterive qui sera sa résidence parisienne jusqu’à sa mort en 1736. Situé au niveau du n° 31-33 rue du Cherche-Midi, il a été démoli en 1906 lors du percement du boulevard Raspail. En 1704, le comte de Verrue est tué à la bataille de Höchstädt (Allemagne). La comtesse sort de sa vie de recluse et s’ouvre aux Arts et à la bonne société. Se piquant de littérature, elle reçoit dans son hôtel des personnages influents : l’abbé Terrasson, Rothelin, le garde des sceaux Chauvelin, Jean-Baptiste de Montullé, le marquis de Lassay, etc. Femme libre, Jeanne-Baptiste de Verrue ne se remarie pas. Elle séjourne fréquemment chez son amant Jean-Baptiste Glucq de Saint-Port (1674-1748) au château de Sainte-Assise. Fraîchement anobli, Jean-Baptiste Glucq de Saint-Port est le fils de Jean Glucq (voir l’hôtel Mascarini), créateur d’une importante manufacture de teinture et de draps fins dans le quartier des Gobelins.
Une grande collectionneuse
Fortunée et enrichie par le système de Law, Mme de Verrue acquiert une très importante collection de tableaux (près de 400 œuvres) exécutés par les meilleurs peintres : Nicolas Lancret, Alexis Grimou, Antoine Watteau, Van Dyck, etc. L’aristocrate possède également l’une des plus importantes bibliothèques d’Europe comptant plus de 18.000 ouvrages; ils sont conservés dans des armoires en marqueterie de Boulle.
Une grande propriétaire foncière
Grâce à sa fortune, la comtesse de Verrue va devenir l’un des plus grands propriétaires fonciers du quartier. Elle achète d’abord les hôtels des n°9, 11 et 13 rue du Cherche-Midi sans doute pour les mettre en location. En 1719, Mme de Verrue charge les Carmes (voir le couvent des Carmes) de faire construire deux hôtels particuliers rue du Regard : ils sont en quelque sorte « pré-achetés » par elle. L’architecte choisi est Victor-Thierry Dailly. Mais dès 1720, les travaux s’interrompent à cause de la banqueroute de Law. Les deux hôtels seront tout de même achevés en 1736 par l’architecte Claude Brice le Chauve sur les plans de Dailly pour le compte des Carmes. Bien que la comtesse de Verrue ne les ait jamais habités (elle meurt la même année), ces deux hôtels sont souvent dénommés « grand et petit hôtel de Verrue ».
Le grand hôtel de Verrue
L’édifice se situait au n°37 rue du Cherche-Midi à l’angle avec la rue du Regard. Une fois achevé, il est loué par Sophie de Noailles, veuve du comte de Toulouse. A partir de 1800, ce somptueux hôtel accueille le Conseil de guerre : les crimes et délits militaires, insubordinations, ventes d’armes et désertions y sont jugés. En décembre 1894, le procès à huis clos du capitaine Dreyfus s’y tient. L’hôtel du Conseil de guerre (photographié ci-dessus en 1907 avant sa destruction) est malheureusement démoli lors du percement du boulevard Raspail en 1907. Démonté, le portail a été remonté dans le parc du château de Jeurre dans l’Essonne.
Le petit hôtel de Verrue
Situé au n° 1 rue du Regard, le petit hôtel de Verrue est le seul qui subsiste. Son éblouissant portail est un bel exemple de style rocaille. Appareillé à refends, il est couronné par une corniche en forme de chapeau de gendarme. Le tympan est sculpté d’un mascaron de tête d’homme surmonté d’un cartouche entouré d’un abondant décor végétal. Au fond de la cour (ouverte en semaine), l’hôtel présente des façades presque austères comparées à la richesse du portail. Les baies sont cintrées et le décor est limité aux agrafes (non sculptées) présentes aux clefs de baie et à un fronton triangulaire au niveau du comble. Sa façade sur jardin (celui-ci est amputé par le percement du boulevard) est visible du boulevard Raspail.
L’hôtel de Dreux-Brézé
Une fois achevé, le petit hôtel de Verrue est loué par le marquis de Dreux-Brézé (1677-1749), grand maître des cérémonies de France, qui lui laisse son nom. Quant à l’inestimable collection de tableaux et de livres de la comtesse de Verrue, une partie a été dispersée à sa mort, l’autre sera agrandie par ses héritiers. Bon nombre de tableaux ont aujourd’hui rejoint le musée du Louvre.
Pour l’architecte Victor-Thierry Dailly, voir également l’hôtel de Rothembourg, l’hôtel de Beaune, les hôtels Le Lièvre de La Grange, l’hôtel Le Rebours.
Sources :
Dreyfuss (Bertrand), Guide du promeneur 6e arrondissement, Paris, Parigramme, 1992.
Gallet (Michel), Les architectes parisiens au XVIIIe siècle, Paris, Mengès, 1995.
Guide du patrimoine Paris, sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos, Paris, Hachette, 1994.
Histoire de la bibliophilie
Adresse : 1 rue du Regard
Métro : Rennes
Arrondissement : 6e
Téléphone :