L’hôtel Giambone
(démoli)
Le banquier Octave-Pie Giambone
Le somptueux hôtel Giambone est bâti en 1779 pour le banquier Octave-Pie Giambone. Originaire de Gênes, Giambone est issu d’une famille de fabricants de tissu. Arrivé à Paris, il abandonne l’affaire familiale pour se lancer avec succès dans la banque puisqu’il devient banquier de la Cour. Giambone épouse Marie-Louise de Marny qui fut l’une des maîtresses de Louis XV au Parc-aux-Cerfs. Avec sa fortune, il achète une charge de conseiller-secrétaire du roi qui lui confère, à vil prix, l’anoblissement au 1er degré. Le 20 novembre 1793, Giambone est arrêté. Il est d’abord conduit au couvent des Madelonettes. Puis, vu son grand âge, il est transféré à la pension Belhomme pour y être soigné; il ne sera finalement pas inquiété pendant la Révolution.
L’hôtel Giambone est parfois appelé hôtel Le Peletier de Rosanbo. Louis Le Peletier, marquis de Rosanbo, président au Parlement de Paris, a peut-être résidé dans l’immeuble donnant sur la rue. Il sera moins chanceux que Giambone : le 22 avril 1794, il est guillotiné en même temps que son épouse et que son beau-père, l’avocat Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, défenseur de Louis XVI à son procès.
Octave Pie Gambione a par ailleurs un membre de sa famille (peut-être son frère) bien plus connu que lui encore : Giacomo Giambone est un des banquiers génois qui financent la construction des galeries du Palais-Royal au début des années 1780 pour le compte de Louis-Joseph d’Orléans, duc de Chartes (le futur « Philippe-Egalité »).
Un salon littéraire au XIXe siècle
Au début du XIXe siècle, l’hôtel est acquis par la comtesse Merlin épouse du général d’Empire Antoine Merlin (1771-1839). Elle y tient un salon très couru où elle accueille notamment Georges Sand, Prosper Mérimée, Honoré de Balzac et Alfred de Musset. Dans les années 1840, le baron Taylor y fonde ses sociétés de bienfaisance pour les artistes (voir la fondation Taylor) avant de s’installer dans l’immeuble du n°68 de la même rue. En 1871, au moment de la démolition de l’hôtel Gambione, celui-ci appartient à la famille de La Riboisière.
Lenoir, un architecte inspiré par le maniérisme italien
Octave Pie Gambione a confié la construction de cet hôtel particulier à l’architecte Samson-Nicolas Lenoir le Romain (1733-1810). Elève de Blondel, ce dernier s’est rendu à Rome où il a fréquenté l’Académie. Son œuvre à venir, pénétrée d’éléments maniéristes, suggère qu’il s’est arrêté à Gênes où il a pu en être imprégné. Sa carrière débute en Bourgogne, où il conçoit plusieurs hôtels particuliers à Dijon. Il édifie également un très beau bâtiment à l’abbaye de Citeaux (toujours existant) où il exprime un certain goût pour la monumentalité. Puis Lenoir commence une carrière parisienne. Il est d’abord en charge de plusieurs projets dans le quartier d’Aligre au cours des années 1760. Ensuite, comme plusieurs de ses confrères, il s’intéresse au lotissement du faubourg Poissonnière, également appelé « Nouvelle-France », dans les années 1770. On lui doit notamment le bel hôtel Benoîst de Saint-Paulle.
Le monumental hôtel Gambione
A partir de 1774 ou 1775, Lenoir dessine et supervise la construction de cet hôtel particulier digne d’un véritable palais. Il ne l’achève pas lui-même puisque l’architecte Corbel (ou Corbet ?) prend sa suite en avril 1777. L’hôtel est placé entre cour et jardin au bout d’une allée de tilleuls. Côté cour, le logis central comporte sept travées ; il est encadré d’ailes perpendiculaires de même hauteur (trois niveaux) qui se prolongent par des ailes basses d’un seul niveau. Au rez-de-chaussée de chaque aile, un portail à colonnes doriques engagées surmonté d’un fronton mène par un passage à la cage d’escalier. On retrouve sur les façades du logis le maniérisme cher à Lenoir : côté cour, au-dessus d’un soubassement en arcades (le rez-de-chaussée) s’élèvent deux étages réunis par des pilastres colossaux à chapiteaux ioniques. Le deuxième étage est traité en attique surmonté d’une corniche saillante et d’une balustrade.
Côté jardin, la façade du logis est agrémentée d’un avant-corps constitué des cinq travées centrales. Surélevé et de plein pied avec le jardin, le rez-de-chaussée communique avec le grand balcon du 1er étage par des escaliers latéraux. Sous l’hôtel, un étage à demi-souterrain abrite les bureaux de la banque, les cuisines et un somptueux appartement de bains. A l’intérieur, le corps de logis, double en profondeur, est constitué de deux enfilades formant huit pièces de réception et petits appartements. Au premier étage, des suites semblables attestent de l’opulence du maître de maison. Il est fort regrettable qu’une demeure aussi prestigieuse ait entièrement disparu, dévorée par la folie spéculative du XIXe siècle.
L’élégant immeuble sur rue dessiné par Girardin
En 1779, l’architecte Nicolas-Claude Girardin (1749-1786) est chargé de construite le bel immeuble sur rue que nous voyons encore aujourd’hui. La façade s’appuie sur un soubassement à refends percé de trois arcades. L’arcade de droite est percée : elle ouvrait peut-être sur l’allée de tilleul qui menait à l’hôtel Gambione démoli pour faire place à la rue Taylor. Au-dessus du rez-de-chaussée, les deux étages sont striés de refends horizontaux. Au premier étage, plusieurs baies sont surmontées de fronton triangulaire reposant sur des consoles. Le grand balcon, doté de ferronneries aux formes géométriques, repose sur des consoles cannelées similaires à celles de l’hôtel de Sechtré, son voisin construit par le même architecte. Vu la qualité de son exécution, il est fort probable que cet immeuble ait été construit à usage locatif par Gambionne, financier avisé.
Pour l’architecte Samson-Nicolas Lenoir le Romain, voir également l’hôtel Benoist de Saint-Paulle, l’abbaye Saint-Antoine des Champs, la place d’Aligre et le marché Beauvau, le théâtre de la porte Saint-Martin, l’hôtel de Sechtré, l’immeuble de rapport boulevard du Temple.
Pour l’architecte Nicolas-Claude Girardin, voir également l’hospice Beaujon.
Sources :
Duclert (Ariane), Guide du promeneur 10e arrondissement, Paris, Parigramme, 1996.
Gallet (Michel), Demeures parisiennes, l’époque de Louis XVI, Paris, Edition du Temps, 1964.
Lenormand (Frédéric), La pension Belhomme : une prison de luxe sous la Terreur, Paris, Fayard.
Pascal (Etienne), Le Faubourg Poissonnière, Délégation Artistique à la Ville de Paris, 1986.
Adresse : 62-64 rue René Boulanger
Métro : Strasbourg-Saint-Denis
Arrondissement : 10e
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